BULLETIN DE LA SAHM Octobre 2013

 

A Laval, le bateau-lavoir Saint-Julien remis à l'eau
Le 17 octobre prochain, la ville de Laval verra son plan de circulation et son trafic routier en grande partie
perturbés. En effet, dès l'aube, de puissants engins de levage prendront en charge sur le parking du Hameau
des Bois, route de L'Huisserie, la carcasse restaurée du bateau-lavoir Saint-Julien. Après 4 ans d'absence, ce
monument historique cher au coeur des Lavallois regagnera de façon spectaculaire son port d'attache quai
Paul Boudet.
Les bateaux lavoirs : un témoignage original des anciens usages de la rivière
Sous le Second Empire (1852-1870), la municipalité lavalloise entreprend la construction de quais destinés à
assainir la ville par la suppression des inondations et la disparition des vieilles maisons sur pilotis bordant la
rive droite de la Mayenne. Ces travaux, en empêchant l'accès direct à al rivière, font cependant disparaître les
"arrivoirs" qui servaient de lavoirs et d'abreuvoirs. D'où l'idée de mettre en place des établissements flottants :
les bateaux-lavoirs. C'est ainsi qu'à partir de 1860, une flottille importante, dont l'existence sera bientôt
confirmée par arrêté préfectoral, voit le jour. Quelques années plus tard, pas moins d'une vingtaine
d'embarcations de ce type sont recensées sur la Mayenne.
Trois types de bateaux-lavoirs se sont succédés à Laval : simples barques lavandières, petits bateaux de lavage
à un seul niveau complétés d'une buanderie sur la rive puis, vers 1865, grands bateaux buandiers à étage
comme le Saint-Julien ou le Saint-Yves. Construites dans le Maine et Loire, leurs coques à fond plat étaient
acheminées jusqu'à Laval par la rivière en empruntant les écluses. La mise en place des étages et leur
aménagement intérieur se faisaient sur site. Avant tout lieux de travail, les bateaux-lavoirs servaient également
de logements aux buandiers et à leurs familles qui occupaient les pièces situées aux extrémités du pont
supérieur. Construit en 1904 pour le buandier Alphonse Fouquet qui le cède à Joseph Poirier en 1933, le Saint-
Julien mesure 28 mètres de long pour 5,10 mètres de large. Son niveau inférieur, avec sa vingtaine de planches
à laver protégées par des auvents, servait de lavoir proprement dit. Sa partie centrale a conservé les deux
chaudières à vapeur qui alimentaient en eau chaude les deux cuves en cuivre situées à l'étage. Ce matériel
correspond au nouveau système de lessivage inventé par René Duvoir en 1837. Utilisant la vapeur, celui-ci
nécessitait une installation à étage afin que la lessive bouillante s'élève jusqu'à la cuve et arrose le linge. Cette
opération s'appelait le coulage. Le pont inférieur accueillait également une essoreuse qui avant sa motorisation
était actionnée à la main.
Le bateau-lavoir entre travail et sociabilité
Un cérémonial précis rythmait l'activité sur les bateaux-lavoirs. L'essentiel de la clientèle se rendait dès le lundi
matin aux bateaux afin d'y laver le linge. Jusqu'au mercredi, le buandier se chargeait de faire bouillir la lessive.
A partir de jeudi, les bateaux-lavoirs étaient moins fréquentés. Les laveuses se consacraient aux travaux de
blanchisserie, c'est à dire au ramassage et au pliage du linge, à la mise en paquets et aux livraisons. La semaine
s'achevait pour l'exploitant par l'entretien et la préparation du bateau pour le lundi suivant. Trois catégories de
femmes venaient aux bateaux-lavoirs. Ainsi, les ménagères les fréquentaient pour laver leur propre linge. Elles
y côtoyaient des femmes dont c'était le métier, les employées des buandiers ou les laveuses professionnelles
installées à leur compte. Les femmes avaient libre accès aux planches à laver et autres accessoires de
blanchisserie. A l'inverse, celles qui souhaitaient faire bouillir leur linge ou l'essorer devaient verser une somme
proportionnelle au nombre de pièces traitées. Les bateaux-lavoirs étaient des lieux très animés où naissaient de
nombreux conflits entre "poules d'eau", surnom donné à l'époque aux laveuses.
La nouvelle cale du bateau-lavoir Saint-Julien (Service Patrimoine – Ville de Laval)
Dans les années 1960, l'arrivée de la machine à laver et la volonté des préfets de supprimer ces établissements
inesthétiques et polluants vont mettre en péril l'existence des bateaux-lavoirs. Suite aux destructions
commandées et aux nombreuses pertes occasionnées par les crues de la rivière, le Saint-Julien et le Saint-Yves
devient les deux derniers témoins d'une flottille de 22 bateaux en 1904. Le Saint-Julien poursuivra même son
activité buandière jusqu'en 1970. Un an plus tard, Jacques Poirier, le fils du dernier exploitant, en fait don à la
Ville qui lui donne le statut de musée en 1981. Enfin, en 1993, il est classé monument historique avec son
voisin le Saint-Yves également désaffecté mais vidé, quant à lui, de son équipement. Victime des crues de la
Mayenne au printemps 2009, les deux établissements ont été mis au sec pour être restaurés par l'entreprise
Seine Design. Aujourd'hui, muni d'une nouvelle cale, le Saint-Julien retrouve enfin les bords de la Mayenne
pour la plus grande joie des amoureux du patrimoine.
Sylvie GARNAVAULT et Stéphane HILAND

BULLETIN DE LA SAHM Novembre 2013

 

Quand le retour du bateau-lavoir Saint-Julien réveille les souvenirs
Le 17 octobre dernier, devant une foule nombreuse, le Saint-Julien a été remis à l'eau, rappelant à Robert et
Yolande Blin leur enfance particulière au bord de l'eau...
Un bateau-lavoir modeste
"Bien sûr qu'on se souvient du bateau-lavoir" confient Robert et sa soeur. "Le lavage du linge, c'est toute la vie
de nos parents. Et ce n'était pas un métier simple" disent-ils. Le bateau de leur père, construit à Changé par
l'atelier Chaussivert, était amarré quai Albert Goupil. Le lavoir flottait en face du Saint-Julien. "Le notre était
totalement différent" se souvient Robert. "Il n'y avait pas de bureau à bord. Ni de lit ou de bar, contrairement à
nos voisins d'en face" ajoute Yolande, qui a travaillé jusqu'en 1976 à la blanchisserie. Détail non négligeable :
les cuves pour bouillir le linge n'étaient pas sur l'eau mais à terre. "Les cuviers étaient au rez-de-chaussée de
notre maison. Ce qui faisait de notre bateau une embarcation beaucoup moins impressionnante que les autres"
reprend son frère.
La remise à l'eau du bateau-lavoir Saint6julien a constitué une opération spectaculaire ( Service Patrimoine, Ville de Laval)
Étranges allers et venues sur les quais
"Le lavage du linge répondait à un emploi du temps précis. Le lundi, les lavandières amenaient leur paquet de
linge. Elles l'échangeaient (le frappaient pour enlever le plus gros des tâches) puis le regroupaient en couplées.
Torchons avec torchons, sous-vêtements, draps, etc..." Venait ensuite le moment de passer dans la buanderie à
terre pour immerger le linge dans les cuves. "Le mardi, elles revenaient voir mon père et récupéraient leur tas.

Elles le chargeaient sur leurs épaules, dans des seaux ou des brouettes, puis traversaient la rue afin
d'embarquer dans le bateau pour rincer le tout" se remémore Yolande. "Imaginez un peu la scène : ces femmes,
les bras chargés de linge mouillé, traversant les quais, puis la passerelle, et descendant à bord. Quand la
chaussée ou le pont étaient gelés, il fallait s'accrocher" ajoute Robert Blin. Une fois plongé dans l'eau de la
rivière, chemin inverse et tout aussi périlleux afin de passer le linge à l'essoreuse. Les allers et venues pouvaient
avoir lieu jusqu'au jeudi ou vendredi.
Une enfance dans les cuves
"Ceux qui disent aujourd'hui que la vie est difficile, c'est qu'ils n'ont pas connu celle des buandiers !" s'exclame
Robert Blin. "On dit que la Mayenne est calme. Mais l'eau qui dort savait sortir de son lit" résume le fils de
buandier qui se rappelle les crues successives. "Notre bateau était beaucoup moins articulé que certains autres.
Quand l'eau montait, il fallait courir afin de mettre l'embarcation à niveau. Une erreur de notre part et tout
aurait pu se briser. Sans parler du matériel qu'il fallait entretenir : les baquets à vider, les 10 centimètres de
glace qu'il fallait brise à la main l'hiver 1963, la peur permanente de voir une lavandière tomber à l'eau"
énumère Robert en soupirant. "Et le travail sans arrêt" ajoute Yolande. "Je n'avais qu'un jour de congé, et il
m'arrivait même de me remettre au travail ce jour-là, après ma séance de cinéma hebdomadaire". Car, en plus
des lavandières, Georges Blin avait ses clients. La caserne Corbineau, le lycée technique rue de la Senelle et
d'autres grosses maisons. "Il fallait travailler sans cesse pour ne pas perdre nos clients" précise Robert qui se
voit encore avec sa soeur traverser Laval en vélo ou en charrette afin de récolter le linge. "A 11 ans, on rendait
la monnaie. A 12, on était dans les cuves" se rappellent-ils. A partir de 1957, toute l'activité de Georges Blin se
faisait dorénavant à terre, même si certaines lavandières continuaient d'utiliser le bateau par habitude. "C'est à
ce moment que mon père est passé de buandier à blanchisseur" termine Robert. Le Désiré sera finalement
démonté en 1965.
Source : Courrier de la Mayenne, édition du 17 octobre 2013